Nuages
Joseph William Mallord Turner (1775-1851)
Le château de Norham au lever du soleil, vers 1845
Ce ne sont pas les oiseaux, ni les avions qui habitent dans le ciel. Ce sont eux, les nuages, larges, silencieux, légers, pareils à des navires, pareils à des îles. Ce sont eux qui vivent de la vraie vie, qui sans cesse se forme et se défait.
A première vue, on ne distinge pas de nuages dans ce tableau. Du moins, pas de ces nuages ordinaires, banals et classés selon leurs formes, de ces structures aériennes qui filent ou posent sur fond de ciel. Avec Turner, nous voici conviés à une autre expérience du nuage. L'espace de l'indécis s'ouvre et le regard plonge immédiatement au gouffre des brumes. C'est là, en effet, que l'oeil du spectateur doit s'établir, au risque de chanceler et de perdres ses repères- au risque de s'égarer dans le bain des vapeurs.Turner opère un tel renversement. Il s'installe au coeur du nuage: il entre dans une zone d'indistinction où les aspects de l'univers matériel s'effacent et se dissolvent dans un poudroiement de lumière réfractée. On appellera ici un nuage à la fois cette donnée météorologique élémentaire, comme de tous, et le résultat de cette étonnante opération esthétique d'enrobement et de dissolution des choses.